8

 

Lorsque la chaloupe du Catawba approcha de la côte désertique, la mer, jusqu’à présent calme, s’agita sous l’effet d’un vent furieux. L’écume, teintée de traces d’agent S, fouettait les vitres de la cabine avec la violence d’une tempête de sable. Heureusement, près de l’épave, les eaux étaient plus paisibles, abritées par de hauts rochers déchiquetés.

Le volcan Augustine, grandiose et serein, surplombait le paysage baignant dans le soleil de fin d’après-midi. C’était l’une des plus belles montagnes de tout le Pacifique, rivalisant de splendeur avec le mont Fuji au Japon.

Le puissant canot à moteur fendait les vagues, et Pitt, luttant contre le roulis, étudiait le rivage.

L’épave était inclinée à vingt degrés et son arrière était criblé de rouille. Le rouf était penché par tribord et deux pales de l’hélice, couvertes de coquillages, dépassaient du sable noir. Il était impossible de déchiffrer le nom du navire et celui de son port d’attache.

Pitt, Giordino, Dover, les deux chimistes de l’A.P.E. et un jeune officier du Catawba étaient tous vêtus de sortes de scaphandres blancs pour se protéger des embruns mortels. Ils communiquaient à l’aide de minuscules émetteurs installés à l’intérieur des casques et respiraient de l’air filtré par un complexe appareillage attaché à la ceinture.

Tout autour flottaient des poissons morts. Deux baleines, ventre en l’air, se balançaient mollement au gré des flots, unies dans la décomposition aux cadavres de marsouins, d’otaries et de phoques. Des oiseaux par milliers dérivaient, frappés eux aussi, au sein de ce gigantesque cimetière marin. Rien de vivant n’avait ici échappé au fléau.

Dover dirigea adroitement le canot entre deux rochers, puis il ralentit, attendant le moment favorable. Il profita d’une grosse vague et, mettant les gaz à fond, échoua l’embarcation sur la petite langue de sable qui s’était formée à la base de l’épave.

« Beau travail, le félicita Pitt.

— Tout est dans la synchronisation, répondit le capitaine en souriant derrière son casque. Naturellement, c’est plus facile à marée basse. »

Ils levèrent la tête pour examiner la masse de tôles qui les dominait. Le nom du navire était maintenant visible. C’était bien le Pilottown.

« C’est presque dommage de mettre ainsi fin à une légende, fit Dover avec un peu de nostalgie.

— Je ne trouve pas », répliqua Pitt en pensant au contenu des cales.

On s’empressa de décharger l’équipement puis, le canot soigneusement amarré à l’hélice du Pilottown, les six hommes entreprirent d’escalader la falaise longeant le côté bâbord de l’épave. Pitt marchait devant, suivi de Giordino et des autres tandis que Dover venait en dernier.

Le sol était composé d’un mélange glissant de cendres volcaniques et de boue qui rendait leur progression très difficile. Ils soulevaient sous leurs pas une épaisse poussière qui se collait aux combinaisons et, essoufflés, ils commençaient à transpirer.

Pitt ordonna une halte sur une étroite corniche. Giordino, épuisé, se laissa tomber à terre, réajustant les courroies de la bouteille d’acétylène attachée sur son dos. Lorsqu’il eut repris sa respiration, il lança :

« Je me demande comment ce vieux tas de ferraille a pu arriver ici.

— Il a probablement dérivé dans ce qui était un petit goulet avant 1987, expliqua Pitt. D’après Mendoza, c’est l’année où a eu lieu la dernière éruption. Les gaz produits par l’explosion ont dû faire fondre les glaces, et des torrents de boue et de cendres ont dévalé la pente du volcan jusqu’à la mer, recouvrant le Pilottown.

— C’est pourtant bizarre qu’on n’ait pas repéré plus tôt son arrière.

— Pas tellement, répondit Pitt. Il dépasse si peu qu’on ne pouvait pas le voir d’avion et, à plus de un mille du rivage, il se confond aux rochers. Ce sont sans doute les dernières tempêtes qui l’ont dégagé. »

Dover se redressa et déroula une corde attachée à sa ceinture, dépliant un petit grappin noué à son extrémité.

Il se tourna vers Pitt :

« Si vous me tenez bien, je crois que je devrais réussir à lancer ce crochet par-dessus le bastingage. »

Pitt et Giordino aidèrent le capitaine qui s’avança tout au bord de la saillie, balança longuement sa corde puis lâcha le grappin.

Celui-ci décrivit un large arc de cercle et atterrit sur le pont de l’épave où il s’accrocha.

L’ascension n’exigea que quelques minutes. Ils étaient enfin à bord du Pilottown.

« Aucun signe de Mendoza, constata Dover.

— L’endroit le plus proche où poser un hélicoptère est à un bon kilomètre d’ici, expliqua Pitt. Ils ont dû faire le reste du trajet à pied. »

Giordino se pencha.

« Le poison doit s’échapper par la coque à marée haute, fit-il.

— Probablement entreposé dans la cale arrière, ajouta Dover.

— Les panneaux d’accès sont enfouis sous des tonnes de lave, fit Giordino avec une grimace. Il nous faudra une armée de bulldozers pour les dégager.

— Vous connaissez bien ce type de cargo ? demanda Pitt au commandant du Catawba.

— En principe oui. J’en ai inspecté suffisamment ces dernières années à la recherche de marchandises de contrebande. (Il s’agenouilla pour dessiner le plan du bateau dans la poussière.) Sous le rouf arrière, on devrait trouver une écoutille donnant sur un conduit de secours qui mène à la cage d’hélice. Il y a un petit renfoncement au fond et on a une chance d’accéder à la cale à partir de là. »

Dover termina et tous se turent. Ils auraient dû être soulagés et heureux d’avoir enfin localisé l’agent S, mais ils ressentaient plutôt une sorte d’appréhension, une peur instinctive à l’idée de cette menace tapie dans les entrailles du Pilottown.

« Nous… nous ferions peut-être mieux d’attendre les gens du labo, balbutia l’un des chimistes.

— Il n’y a pas une minute à perdre », répliqua Pitt en lui lançant un regard glacial.

Giordino prit un levier dans la trousse à outils sanglée sur le dos de Pitt puis, sans un mot, s’attaqua à la porte d’acier du rouf arrière. A sa grande surprise, elle céda aussitôt. Il pesa de tout son poids sur le battant, et les gonds rouillés grincèrent. La porte s’ouvrit. A l’intérieur, c’était vide.

« On dirait que les déménageurs sont passés par là, constata Pitt.

— Bizarre qu’il n’ait jamais été utilisé, ajouta Dover d’un ton songeur.

— Le conduit de secours ? »

Le capitaine les précéda dans un autre compartiment, tout aussi vide que le premier. Il s’arrêta devant une écoutille circulaire. Giordino la força à l’aide de son levier puis se recula tandis que Dover braquait une torche vers les profondeurs.

« On peut laisser tomber, fit-il avec découragement. Le conduit est bloqué.

— Qu’est-ce qu’il y a sur le pont inférieur ?

— Le. servomoteur de gouvernail. Attendez… (Le capitaine réfléchit quelques instants.)… Juste devant le servomoteur, il doit y avoir un poste de timonerie arrière, une survivance des années de guerre. Il reste une petite possibilité pour qu’on puisse pénétrer à partir de là dans la cale. »

Ils revinrent sur leurs pas, se demandant ce qui était arrivé à l’équipage qui avait abandonné le bateau. Ils descendirent vers le servomoteur et se frayèrent un passage au milieu de la machinerie encore couverte de graisse en direction de la cloison avant. Dover examinait les parois à l’aide de sa lampe. Soudain, il s’immobilisa.

« Saloperie ! jura-t-il. Le panneau est bien là, mais il a été condamné.

— Vous êtes sûr que nous sommes au bon endroit ? fit Pitt.

— Absolument. De l’autre côté, c’est la cale 5. Et c’est sans doute dedans que se trouve le poison.

— Et les autres cales ? lança l’un des chimistes.

— Elles sont trop à l’avant. La marée ne monte pas jusqu’à elles.

— Bon, dans ce cas au travail », ordonna Pitt avec impatience.

Ils assemblèrent rapidement le chalumeau et le branchèrent sur les bouteilles. Bientôt la flamme bleue attaquait la tôle chauffée au rouge. Une première fissure apparut.

Tandis que Giordino agrandissait l’ouverture, Julie et son équipe arrivèrent, traînant avec eux près de 200 kilos de matériel.

« Vous l’avez trouvé ! s’exclama-t-elle.

— Nous n’en sommes pas encore certains, riposta Pitt, tempérant son enthousiasme.

— Mais tous nos tests indiquent que l’eau ici est bourrée d’agent S, protesta-t-elle.

— Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. »

Giordino se recula et éteignit le chalumeau. Il le tendit à Pitt puis empoigna son fidèle levier.

« Ecartez-vous, lança-t-il. Ce truc est brûlant et sacrement lourd. »

Il glissa l’extrémité de la barre dans la brèche et poussa de toutes ses forces. La plaque de tôle se tordit puis s’écrasa sur le pont dans une gerbe d’étincelles.

Un profond silence se fit tandis que Pitt saisissait une torche et se penchait prudemment par l’ouverture. Le faisceau lumineux balaya la cale, perçant les épaisses ténèbres.

Une éternité parut s’être écoulée lorsque enfin il se redressa et se tourna pour faire face aux étranges silhouettes casquées qui se pressaient autour de lui.

« Alors ? » lâcha Julie Mendoza anxieusement.

Pitt ne répondit que par un seul mot :

« Eurêka ! »

 

Panique à la Maison-Blanche
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